Urnes contre kalachnikovs : l’Afrique entre résilience et résignation?

Le choix de la démocratie paraissait irréversible après les bourrasques révolutionnaires et la kyrielle de coups d’État qui ont secoué l’Afrique. Mais voilà que les vieux démons ressurgissent dans certaines parties du continent. Les militaires refont surface et s’emparent à nouveau du pouvoir, en toute impunité, avec même une désinvolture troublante. Un passé que l’on croyait révolu rejaillit, bousculant toutes les certitudes acquises.

Nous assistons à un chaos démocratique et à une banalisation des coups d’État, marqués par le retour en force des armées sur la scène politique. Faut-il incriminer des populations obsédées par l’alternance, prêtes à tout prix au changement, quels qu’en soient les moyens ? Ou pointer l’échec d’élites complaisantes, accommodantes, résignées aux compromissions, toujours promptes à prêter allégeance à des régimes de tout bord et à s’embarquer dans des aventures hasardeuses ? Faut-il y voir l’ouverture d’une brèche provoquée par le rejet d’élites perçues comme corrompues et illégitimes par des populations désillusionnées ?

La transmission du pouvoir a toujours généré des tensions en Afrique, opposant des élites engluées dans des guerres d’ego et des conflits d’intérêts. Il aura fallu des décennies d’efforts et d’innombrables sacrifices pour embrasser la démocratie – par mimétisme ou sous l’effet de l’air du temps. Cette transition avait le mérite d’éclipser les prises de pouvoir par les armes et de marginaliser les forces armées. Un cycle électoral parfois contesté a remplacé la spirale des coups d’État, marque des indépendances tumultueuses. Si les élections sont loin d’être une panacée et restent perfectibles, elles offrent néanmoins aux candidats des chances relativement équitables de se disputer les suffrages. Le débat politique et la compétition électorale excluent théoriquement le recours à la force. Aussi, tant que le bulletin de vote demeurait l’unique voie d’accès au pouvoir, personne n’envisageait sérieusement d’autre alternative que les urnes. Du moins, jusqu’à l’ère des rébellions armées, qui engendrèrent seigneurs de guerre et tyrans tristement célèbres.

Les militaires et chefs rebelles ayant dirigé les États en l’absence de standards démocratiques finirent par rendre les armes et rejoindre les casernes. L’armée régulière se cantonna à ses missions régaliennes, pliant – en théorie – devant « l’autorité civile établie ». Pourtant, son ombre continua de planer sur les affaires publiques, son influence persistant dans les arcanes du pouvoir. Était-elle vraiment partie ? Manifestement non. Chassez le naturel, il revient au galop ! Le désenchantement démocratique et le rejet des classes dirigeantes offrent aujourd’hui à l’armée une opportunité historique de reprendre les rênes, dans un monde où la Realpolitik prime sur les idéaux. On ne défend plus la justice ou l’État de droit ; on calcule les rapports de force. Dans des sociétés devenues jungles, la loi du plus fort triomphe. Qui, mieux que les détenteurs d’armes, pourrait exploiter ce laisser-aller ?

Les élections ne sont plus l’unique voie vers le palais présidentiel : on y entre désormais par effraction, les coups d’État étant tacitement tolérés, voire sanctifiés. À quoi bon les urnes quand le pouvoir se prend par la force ? Les tabous sautent, les verrous cèdent. Un effet de contagion se profile : un putsch en inspire un autre, la violence appelant la violence. En ces temps troubles, chacun intègre que « le pouvoir ne se donne pas, il se prend », que « la fin justifie les moyens ». Gare aux vaincus !

Heureusement, si l’ombre d’un effet domino plane toujours sur l’ouest du continent et que les crises s’éternisent au centre, des pays en leur sein et d’autres régions préservent un cycle électoral régulier, certes agité par moment, mais bien réel.
Et surtout, selon un sondage de l’Afrobaromètre, une réalité persiste : une majorité d’Africains reste fidèle à l’idéal démocratique, résistant aux sirènes putschistes – même lorsqu’elles se parent des oripeaux de la “lutte anti-néocoloniale” ou de la “souveraineté retrouvée”.

La roue de l’histoire tourne. Celle de la fortune, imprévisible, suit son cours.

Tibou Kamara