LE MINISTÈRE DES MINES ET L’AFFAIRE DE LA PROMESSE DE DON DE DEUX MILLIONS DE DOLLARS US PAR LA SOCIÉTÉ CIMAF : un dossier classé sans suite ?

Dans un courrier du 3 avril 2023, le Directeur général de la société CIMAF a adressé, au ministre des mines, un courrier relatif aux avantages de l’exploitation d’une carrière de Schiste (en réalité une demande d’autorisation d’exploitation de carrière permanente). Un courrier réponse n°0772 du Ministre des mines et de la géologie, du 09 mai 2023, signé par son conseiller économique et fiscal a été adressé au Directeur général de la société. On peut lire dans ce courrier que « {…} je suis au regret de constater encore une fois que votre courrier ne fait pas mention des engagements pris par le directeur général sortant de votre société pour {faire} un don de deux millions de dollars américains (2.000.000 USD). Afin de permettre à l’administration minière de donner une suite favorable à votre requête, je vous prie de bien vouloir saisir officiellement le ministère des mines et de la géologie de votre volonté d’honorer les engagements du Directeur général sortant de CIMAF ». (Courrier n°0772/MMG/CAB/2023, 09 mai 2023).

Ce courrier réponse appelle deux observations essentielles. Premièrement, il soumet l’avis favorable du ministre des mines à l’exigence du respect de la promesse de don faite par le DG sortant. La question est alors de savoir si le respect d’une promesse de don constitue une condition d’attribution de l’autorisation d’exploitation de carrière permanente. Deuxièmement, les promesses de don et leur acceptation sont proscrites par le code minier. La question est alors de savoir quelles conséquences juridiques en tirer ?

Pour en savoir davantage, il convient de respectivement passer en revue l’inexistence d’une exigence de don parmi les conditions d’attribution des autorisations d’exploitation de carrière permanente (I) et l’illégalité de la soumission de l’attribution de l’autorisation d’exploitation de carrière à l’exigence du respect d’une promesse de don (II).

I. L’INEXISTENCE D’UNE EXIGENCE DE DON PARMI LES CONDITIONS D’ATTRIBUTION DES AUTORISATIONS D’EXPLOITATION DE CARRIERE

Le code minier définit diverses conditions d’attribution des autorisations d’exploitation de carrières permanentes. Certaines se rapportent à l’autorisation elle-même et à la procédure de son attribution. D’autres sont liées aux capacités du demandeur.

Le droit de se livrer aux activités d’exploitation de carrières ne peut être acquis qu’en vertu d’une Autorisation d’exploitation de Substances de carrières (Code minier guinéen, art. 17). Le cas d’espèce ne se rapporte ni aux carrières publiques, ni aux carrières temporaires, mais aux carrières permanentes, conformément à la typologie faite à l’article 66 du Code minier.

En vertu de l’article 69 du Code minier, « L’Autorisation d’exploitation de carrières permanente est délivrée aux personnes physiques ou morales de droit guinéen, par arrêté du Ministre après examen d’un dossier comprenant entre autres une étude d’impact environnemental et social et après avis des autorités administratives compétentes et des Collectivités locales concernées.

Les conditions d’attribution des Autorisations d’exploitation de carrières permanentes sont les mêmes que celles applicables aux Permis d’exploitation minière.

La décision d’approbation ou de refus de l’Autorisation, sa notification et sa publication relèvent du Ministre, après avis de la Commission Nationale des Mines, pour les carrières permanentes ». (Code minier, art. 69). En outre, l’article 69 du Code minier prévoit la similarité des conditions d’attribution des Autorisations d’exploitation de carrières permanentes et celles applicables aux Permis d’exploitation minière.

Or, les articles 30-I et 30-II du Code minier se bornent à prévoir essentiellement des conditions relatives à l’exigence de constitution d’une société de droit local, à la procédure d’attribution de l’autorisation qui organise l’intervention de plusieurs organes dont l’avis précède la décision du ministre des mines, à la composition et aux modalités d’examen du dossier constitutif de la demande d’attribution du Permis d’exploitation ; dossier impliquant notamment une exigence d’évaluation de l’impact environnemental. Dans le même sens, suivant l’article 17 du Code minier, « Les modalités de gestion {…} des autorisations seront précisées par la réglementation minière ». (Code minier, art. 17.). Les conditions posées par l’article 36 du Décret n°012 du 17 janvier 2014 portant gestion des autorisations et titres miniers sont similaires à celles évoquées à l’article 69 précité.

Hormis les conditions se rapportant à l’autorisation elle-même, le code minier prévoit des conditions de capacités. Au titre de l’article 15 alinéa 2 du Code minier, « Peuvent exploiter des Substances {…} de carrières, dans les conditions de la présente loi : toute personne physique ou morale, publique ou privée, de droit guinéen justifiant des capacités techniques et financières pour entreprendre l’exploitation sollicitée. Un décret du Président de la République précise le contenu de ce qu’on entend par « Capacités techniques et financières ».

L’exigence de capacités financières évoquée là permet à l’autorité concédante de prévenir les situations dans lesquelles le demandeur de l’autorisation n’aurait uniquement qu’un objectif spéculatif, une fois qu’il viendrait à l’obtenir. En effet, la conduite de l’exploitation de carrière a un coût qu’il appartient au titulaire de l’autorisation d’assumer.

Il résulte de ces considérations :

o Que, dans le processus d’attribution des titres et autorisations, il n’existe, dans des diverses dispositions du code minier et des autres réglementations, aucune condition de don à faire par une société à un quelconque organe étatique a fortiorià un ministre de la République ;

o Qu’au surplus, dans l’intérêt général, ce qui devrait davantage intéresser un ministre de la République, c’est l’avis technique des organes légalement institués aux fins de prendre la décision la plus conforme à l’intérêt général.

o Qu’en ce sens, plutôt que de focaliser l’attention sur une idée de promesse de don présentée comme une condition d’attribution, le ministre devrait davantage s’intéresser à l’impact du projet et, dans une large mesure, aux capacités du demandeur de l’autorisation.

II.L’ILLÉGALITÉ DE LA SUBORDINATION DE L’ATTRIBUTION DE L’AUTORISATION D’EXPLOITATION DE CARRIÈRES À L’EXIGENCE DU RESPECT D’UNE PROMESSE DE DON

La soumission de l’avis favorable du ministre des mines à l’exigence du respect par la société CIMAF de la promesse de don faite par son Directeur général sortant constitue une violation du code minier et d’autres réglementations guinéennes. D’abord parce que cette conduite est attentatoire à l’interdiction des pots-de-vin dans le secteur minier. Ensuite parce qu’elle porte atteinte aux dispositions proscrivant les actes de concussions. Enfin, cette pratique est assimilable à un acte de corruption.

Le législateur guinéen a entendu formellement proscrire des actes constitutifs de pots-de-vin dans le secteur minier. En vertu de l’article 1erdu code minier, on entend par, « Pots-de-vin(ou « offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques ») tout bien de valeur, corporel ou incorporel, quelle qu’en soit la valeur financière, y compris les biens, services, faveurs, emploi, recommandations pour un emploi, opportunités d’investissement, de fonctions ou d’admission au sein d’une entité ou toute autre organisation ». (Code minier, art. 1er).

Au titre de l’article 154 du Code minier, « Il est interdit à toute société active ou intéressée au secteur minier guinéen, ou à tout fonctionnaire, directeur, employé, représentant ou sous-traitant d’une telle société, ou à tout actionnaire de celle-ci agissant au nom d’une telle société, sous peine de poursuite, de proposer des offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques à : un Fonctionnaire, un officiel du Gouvernement guinéen ou à un élu afin d’influencer une décision ou un acte pris, dans le cadre de l’exercice de fonctions relatives au secteur minier, y compris mais pas seulement, l’attribution de titres miniers ou autorisations, la surveillance ou le contrôle des activités minières, le suivi du paiement des recettes minières, et l’approbation des demandes ou décision visant à proroger, amodier, céder, transférer ou annuler un titre minier ou une autorisation ; un autre individu, une association, société, ou personne physique ou morale afin d’utiliser son influence supposée ou réelle sur tout acte ou décision de tout officiel du Gouvernement guinéen ou élu dans le cadre de l’exercice de fonctions relatives au secteur minier telles que définies dans le paragraphe précédent ». (Code minier, art. 154).

Dans le même sens, suivant l’article 158 du code minier, « Il est interdit à tout fonctionnaire de l’ordre administratif ou judiciaire, ou tout autre représentant de l’Administration publique guinéenne ou tout élu chargé de se prononcer sur un acte de gestion du secteur minier, de solliciter ou d’agréer, sous peine de poursuites, des offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques pour accomplir, s’abstenir d’accomplir ou abuser de son influence dans l’exercice de ses fonctions, notamment dans le cadre de l’attribution des Titres miniers, la surveillance des activités et des paiements, et l’approbation des demandes ou décisions de prorogation, d’Amodiation, de cession, de transfert ou d’annulation d’un Titre minier. (Code minier, art. 158).

En vertu de ces dispositions, la promesse de don faite par un quelconque agent travaillant au compte d’une société et son acceptation par un quelconque agent de l’État intervenant dans le processus d’attribution de titres et d’autorisations a fortioriun organe gouvernemental, est manifestement illégale.

Or, dans le courrier n°0772 du Ministre des mines et de la géologie – signé de son conseiller économique et fiscal pour son compte – celui-ci rappelle au Directeur général de la société CIMAF qu’il est « au regret de constater encore une fois que votre courrier ne fait pas mention des engagements pris par le directeur général sortant de votre société pour {faire} un don de deux millions de dollars américains (2.000.000 USD). Afin de permettre à l’administration minière de donner une suite favorable à votre requête, je vous prie de bien vouloir saisir officiellement le ministère des mines et de la géologie de votre volonté d’honorer les engagements du Directeur général sortant de CIMAF ».

Lu en harmonie avec les dispositions précitées, le courrier du ministre des mines et de la géologie appelle un ensemble d’observations :

Premièrement, la promesse de don, en vertu de l’article 154 étant une violation des dispositions du code minier proscrivant les pots-de-vin et les actes de concussion, la société CIMAF est à bon droit de refuser d’honorer cet engagement de son précédent directeur général ; nul n’étant tenu de respecter un engagement manifestement contraire à la loi et de nature à entraîner d’importantes conséquences juridiques et financières. Car, au titre de l’article 213 du Code minier, « Est constitutive d’actes de corruption active ou de trafic d’influence définis respectivement aux articles 194 et 195du Code pénal et sera punie des amendes et emprisonnements prévus par ledit Code, la violation des dispositions du présent Code relatives à l’interdiction de paiement des Pots-de-vin. Toute personne morale reconnue coupable de paiement de Pots-de-vin est sanctionnée par une amende civile maximale de cinq pour cent (5%) du chiffre d’affaires de la dernière année avant le jugement, ou de cinq pour cent (5%) du chiffre d’affaires de l’année pendant laquelle le délit a été commis, ou à la hauteur des dommages causés par le délit, la valeur la plus élevée s’appliquant. Cette amende s’appliquera nonobstant l’application de toute autre amende prévue par le Code pénal ». (Code minier, art. 213).

L’article 213 du Code minier présente la violation de ses dispositions relatives à l’interdiction de paiement des pots-de-vin comme constitutive d’actes de corruption active ou de trafic d’influence. Or, d’une part, au titre de l’article 771 du Code pénal, « Est puni d’un emprisonnement de 3 à 10 ans et d’une amende de 5.000.000 à 10.000.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines seulement :

1. le fait par quiconque, de promettre, d’offrir ou d’accorder à un agent public, directement ou indirectement, un avantage indu pour lui-même ou pour une autre personne ou entité afin qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions officielles ;

2. le fait pour un agent public de solliciter ou d’accepter, directement ou indirectement, un avantage indu, pour lui-même ou pour une autre personne ou entité afin d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte dans l’exercice de ses fonctions officielles.

D’autre part, au regard de l’article 775 du Code pénal, « Est puni d’un emprisonnement de 3 à 5 ans et d’une amende de 5.000.000 à 10.000.000 de francs guinéens ou de l’une de ces deux peines seulement, le fait par un agent public d’abuser de ses fonctions ou de son poste, en accomplissant ou en s’abstenant d’accomplir, dans l’exercice de ses fonctions, un acte en violation des lois afin d’obtenir un avantage indu pour lui-même ou pour une autre personne ou entité ». (Code pénal, art. 775).

Rappelons qu’en vertu de l’article 7 du code minier, « Les dispositions de la présente loi s’appliquent sans préjudice de celles relevant des domaines spécifiques régis notamment par {…} le Code Pénal et tous les autres Codes dont les dispositions pourront s’appliquer directement ou indirectement à l’Activité minière à condition qu’elles ne soient pas contraires à celles du présent Code ». Il en va de même – cela va sans dire – de la Loi n°0041/AN du 4 juillet 2017 portant prévention, détection et répression de la corruption et des infractions assimilées, tout en gardant à l’esprit l’équivalence et les diverses techniques « d’articulation » normatives.

Deuxièmement, en comportant l’expression « au regret de constater encore une fois », le courrier rend compte du caractère répétitif de la relance de la société par le ministre aux fins d’honorer cet engagement illégal. Il n’est pas excessif de supposer un retard volontaire dans l’instruction de la demande de CIMAF et un harcèlement de la société pour respecter un engagement illégal ; ce qui est de nature à constituer une circonstance aggravant la violation du code minier par l’organe de l’État dont la mission consiste à veiller à son respect.

Troisièmement, en raison du contenu du courrier, le ministre semble davantage intéressé par le don que par l’impact environnemental du projet, par l’évaluation des capacités de la société CIMAF d’exécuter des obligations attachées à l’autorisation d’exploitation de carrière permanente, par l’avis des autres organes techniques

En définitive :

1. Il n’existe, parmi les conditions d’attribution des autorisations d’exploitation de carrière, aucune condition de respect d’une promesse de don.

2. La promesse de don présentée comme une contrepartie de l’attribution d’une autorisation est illicite et illégale. D’abord parce que, sur le plan sémantique, suivant le sens ordinaire du terme, le don n’est pas assorti de contrepartie. Or, là, il constitue la condition de l’attribution de l’autorisation. Ensuite parce que, la promesse de don et son acceptation constituent une violation du code minier. Là où une promesse de don faite par le DG d’une société et son acception par un ministre de la République constituent une violation du code minier, la relance répétée du premier par le second constitue une circonstance de nature à aggraver l’infraction constituée.

3. Nul bonus de signature, nul flux exceptionnels, sans fondements juridiques, quel que soit le titre qui leur est attribué ne peut justifier cette pratique de soumission de l’attribution d’une autorisation à l’exigence préalable du respect d’une promesse de don. De même – contrairement à certains essais d’explications – cette pratique est aux antipodes de la lettre de politique de la responsabilité sociétale des entreprises (2017) ; lettre dont l’axe 7 porte sur « la transparence et la collaboration à la lutte contre la corruption » dans secteur minier.

En raison de l’importance du sujet notamment pour des motifs de dissuasion, ce dossier ne devrait pas être “classé sans suite”.

Jean Paul KOTEMBEDOUNO
Docteur en Droit public de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.