Après le Conseil des ministres du jeudi 30 novembre 2023, le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, a laissé entendre que, « l’accès à Internet n’est pas un droit. » Depuis, à chaque fois que je vois défiler cette affirmation, je suis prise d’un bouillonnement. Au point de procéder à un peu de fact-checking. De ce que j’ai trouvé, on se rend bien compte qu’il s’agit d’une dérive autoritaire. Monsieur le ministre, tenez-vous bien : l’accès à Internet est bel et bien un droit. Plusieurs instruments juridiques internationaux le reconnaissent comme tel. En voici quelques-uns, pour vous rafraîchir la mémoire, au cas où :
Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 en son article 19, reconnaît le droit à la liberté d’expression, y compris la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toutes sortes, indépendamment des frontières, par tous les moyens de communication. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) reprend la même disposition et la renforce en ajoutant explicitement « … y compris par voie électronique. » Dans le même ordre d’idées, l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) reconnaît « le droit de prendre part à la vie culturelle, de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications, et de participer au bien-être résultant du progrès. »
De même, plusieurs résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies reconnaissent l’importance de l’accès à Internet pour le développement, les droits de l’homme et la réalisation des objectifs de développement durable. D’ailleurs dans de nombreux rapports où déclarations du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d’expression, il est mentionné et reconnu l’importance de l’accès à Internet pour l’exercice de la liberté d’expression.
En termes de jurisprudence, depuis 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu plusieurs arrêts confirmant que l’accès à Internet peut être protégé en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit la liberté d’expression. L’un des arrêts en la matière le plus récent est celui rendu par la Cour de justice de la CEDEAO condamnant l’Etat guinéen pour les restrictions arbitraires d’accès à Internet en mars et octobre 2020. Ce qui constitue un précédent en matière de protection des espaces d’expression pour les citoyens mais aussi leur droit d’accéder aux sources d’informations et moyens technologiques de communication nécessaires, pour développer et véhiculer leurs opinions.
En effet, ces instruments juridiques et mécanismes internationaux contribuent à établir qu’un accès ouvert, équitable et non discriminatoire à Internet est essentiel pour garantir les droits fondamentaux, tels que la liberté d’expression et l’accès à l’information, dans le contexte d’un monde numérique.
Ainsi, on déduit que la restriction de l’accès à Internet constitue une violation de droits humains. Malheureusement, le gouvernement guinéen en fait désormais son arme favorite contre les citoyens épris de liberté et de justice. Cela, au gré des humeurs d’individus tapis dans l’ombre.
Outre l’atteinte à la liberté d’expression, la restriction de l’accès à l’internet entraine :
Une violation du droit à l’information : Les citoyens ont le droit de rechercher des informations et d’accéder à des sources d’information variées. La restriction de l’accès à Internet entrave ce droit en limitant l’accès à une source majeure d’informations.
Une atteinte à la liberté de la presse : Les journalistes et les médias dépendent souvent d’Internet pour diffuser des informations au public. La restriction de l’accès à Internet peut entraver la liberté de la presse et empêcher les journalistes de jouer leur rôle essentiel dans une société démocratique.
Un préjudice sur l’accès aux services en ligne : De plus en plus de services essentiels, tels que les transactions financières, les services publiques etc. ne sont accessibles qu’en ligne. Que dire, du dépôt, en cours, de candidatures pour le recrutement à la fonction publique ? Restreindre l’accès à Internet prive donc les citoyens de ces services essentiels.
Une violation de la liberté d’association et de réunion : De nos jours, Internet facilite l’organisation et la mobilisation des individus autour d’un sujet ou objectif commun. On ne dénombre plus le nombre de réunions de travail, de séminaires (webinaire) et formations qui s’organisent via Internet. Ainsi, restreindre l’accès à Internet entrave la capacité des populations à exercer leur droit à la liberté d’association et de réunion en ligne.
De toutes ces violations, le gouvernement n’en tire qu’un simple effet dissuasif, car la menace de restrictions d’accès à Internet peut avoir un effet dissuasif sur la liberté d’expression en amenant les individus à s’autocensurer par crainte de représailles.
Or, bien que pour des raisons de sécurité nationale, de protection des mineurs ou de prévention de la cybercriminalité, des restrictions d’accès à Internet soient justifiées, elles doivent tenir compte des droits et libertés des citoyens. Toute restriction doit être nécessaire et proportionnée.
Enfin, si des restrictions « nécessaires » devraient arriver, d’une part, le gouvernement a la responsabilité de garantir que les droits fondamentaux des individus ne sont pas affectés. Et d’autre part, il devra faire preuve de redevabilité envers les citoyens en les informant de la façon la plus élégante possible. Non leur jeter à la figure que « internet n’est pas un droit ». Rien que cela.
Asmaou BARRY